L’Art contemporain ?
« L’art contemporain n’amène que peu de certitudes. » Fabrice Hergott
Depuis les années 1990, il existe un débat récurrent
sur l’état dans lequel se trouve l’art en général et l’art contemporain
en particulier. Une des causes de cet état est due à l’introduction des
objets dans la création artistique. Ces objets, banals et quotidiens,
appelés œuvres d’art, mettent à mal non seulement les théories
esthétiques, mais aussi l’expérience esthétique qu’ont les spectateurs
face à ces productions. Les œuvres d’art contemporain ne se
matérialisent plus sous une forme « traditionnelle », c’est-à-dire une
représentation (peinture ou photographie par exemple), mais par la
présence directe de l’objet. L’idée de crise de l’art
contemporain naît ainsi du renouvellement de la création artistique,
laquelle entraîne irrévocablement une remise en cause totale des
critères esthétiques.
I/ Que signifie le terme « contemporain » ?
Le
mot « contemporain » revêt deux sens. Il signifie généralement « ce qui
est de notre temps », ce qui coexiste avec le présent : le monde
contemporain est, par définition, celui où nous vivons.
« Contemporain »
véhicule aussi l’idée d’une acuité et d’une pertinence particulières
par opposition à ce qui est banal ou, pire, dépassé. En ce sens
polémique, la notion d’art contemporain remonte aux années 1980.
II/ Quand nait l’art contemporain ?
Il est difficile de dater précisément l’apparition de l’expression. Si
elle se diffuse à partir des années 1980, les changements dans les arts
visuels au cours des années 1960 amorcent une crise du « moderne » par
rapport à laquelle va se définir le contemporain.
En effet, durant ces années 1960 apparaissent le pop art et le nouveau réalisme qui font entrer dans l’art les objets et les images de la vie quotidienne. D’autres
mouvements, comme l’art cinétique, cherchent à esthétiser la vie
quotidienne en produisant des « multiples » ou de l’art urbain. Surtout,
au tournant des années 1960-1970, apparaissent des productions
artistiques, minimalistes, conceptuelles, corporelles
qui, tout en se réclamant des pratiques d’avant-gardes, bousculent ou
remettent en cause les catégories modernes, notamment la distinction
encore solide entre peinture et sculpture et entre la notion d’œuvre
elle-même et celle d’artiste.
Il
s’opère ainsi un changement de représentation. En Europe et aux
États-Unis, l’art moderne en tant que tel apparaît en crise et semble
préfigurer la fin de l’art. Cette transition fut sur le moment définie
comme « postmoderne » dans l’incertitude où l’on était de l’importance
et du caractère durable du changement. …….
Si
dans ce premier épisode, l’art contemporain prenait une valeur
polémique antimoderne de « retour à l’ordre », à partir des années 1980
il marque un renouvellement des formes et des pratiques allant au-delà
du moderne.
Au sein du modernisme, l’art se retrouve ainsi soumis à la loi de la nouveauté
artistique. Ainsi, la notion de modernité en vient à s’épuiser dans une
course en avant soit banale (c’est juste un « nouveau nouveau » au sein
de ce que Harold Rosenberg appelle une « tradition du nouveau »), soit
vide (voici du chronologiquement nouveau). La notion de moderne
n’explose pas : elle devient insignifiante. À terme, il n’y a plus de
moderne, mais seulement du nouveau.
Cette
mort par épuisement et consomption intérieure du « moderne » amène au
contemporain. À travers cette notion, on cherche à apprivoiser le
nouveau en l’arrachant au contexte de représentation moderne, à la
tyrannie de la nouveauté formelle et à la guerre incessante des
avant-gardes.
Toutefois, les tenants d’un « art contemporain » tiennent absolument à
lui conserver une valeur avant-gardiste et une audace particulière.
III/ Qu’est ce l’art contemporain ?
Si
l’on cherche ce que regroupe la catégorie d’art contemporain, on
s’aperçoit des conséquences considérables de la dé-différenciation
engendrée par l’abandon des critères « modernes » de la nouveauté.
Pour
preuve, dans une exposition dite d’art contemporain, on trouve
aujourd’hui aussi bien des peintures reprenant des manières d’opérer
anciennes, figuratives ou abstraites, que des travaux d’art conceptuel,
des « ready-mades » postduchampiens, des performances, des simulations
(ironiques ou non) de travaux antérieurs, des installations cinétiques
plus ou moins renouvelées par les technologies informatiques, des
photographies et des vidéos, etc.
L’art
contemporain se montre en ce sens foncièrement tolérant et œcuménique :
il accepte la coexistence d’objets et de démarches hétérogènes.
SelonYves Michaux, il réunit toutefois plusieurs aspects :
· Il est mondial
· C’est un art en grande partie volatile et mobile.
· Il
a tendance à se diffuser au-delà des lieux de l’art dans des
manifestations et des domaines d’activité qui n’étaient pas
traditionnellement définis comme artistiques.
Ainsi
peuvent « faire art » des photos, des vidéos, des installations
lumineuses ou sonores, des messages publicitaires, des pratiques
relationnelles (donner un repas, saluer), des manipulations génétiques
(art biotechnologique), des performances corporelles, des documents
journalistiques, des analyses sociologiques.
IV/ Pourquoi parle t-on de crise ?
Parce
qu’il n’y a plus de signes de reconnaissance pour voir dans l’objet non
seulement un objet d’art, mais encore moins une œuvre d’art. Il existe
divers arguments pour ou contre cet art, arguments qui ne sont, par
ailleurs, pas seulement argués par le public, mais derrière lesquels se
rangent également les spécialistes. Le débat français sur la crise de
l’art contemporain commence en 1991 dans trois revues : Esprit, Télérama
et L’Evénement du jeudi. Yves MICHEAUD a d’ailleurs dénombré quinze arguments que voici :
1. d’être ennuyeux ; 2. de ne pas donner d’émotion esthétique ; 3.
d’exercer un effet de trucages intellectuels qui dissimulerait son vide
et sa nullité ; 4. d’être sans contenu ; 5. de ne ressembler à rien ; 6.
qu’il n’y ait pas de critère esthétique pour ce n’importe quoi ; 7. de
ne demander aucun talent artistique ; 8. d’être un art épuisé par
l’histoire ; 9. d’être produit par l’excès d’historicisation ; 10. de ne
plus être un art critique ; 11. d’être une pure création du marché ;
12. d’être un effet du complot du monde de l’art et de ses réseaux
internationaux, américains ou mondains ; 13. d’être un art officiel ;
14. de n’exister que sous la protection du musée ; 15. d’être coupé du
public qui n’y comprend rien.
V/ Quel contenu pour l’art contemporain ?
Il
est facile de repérer un ensemble de thèmes signifiants qui hantent
l’art contemporain et que reprennent plus ou moins tous les artistes :
le corps, l’exhibition de l’intimité, la transformation technique du
corps, la beauté de l’artifice, la communication - et la
non-communication, voire l’incommunication -, l’exploitation et la
misère humaine, le mélange des images, la surveillance et la
normalisation, les circulations et le désordre urbain, la pollution, les
déchets et leur recyclage, etc. N’importe quelle biennale expose de
manière obsédante ces thèmes. Le problème est toutefois que l’art
contemporain exhibe la plupart du temps ces thèmes sans distance critique. Ou bien, celle-ci ne diffère pas de celle qui caractérise l’ensemble de nos autres systèmes de représentation du monde.
VI/ Quel peut être son avenir ?
Il
reflète donc la société, au même titre que tout ce qui la reflète. D’où
la perte de sa force critique - celle-ci se trouvant désormais
dispersée par la réflexion sociale à travers toute la société, et se
voyant du même coup largement banalisée et neutralisée. Aussi, on accuse
l’art d’être dépolitisé et de connaître une crise de la représentation.
Effectivement, il reflète plus qu’il ne réfléchit. De
plus, il se trouve absorbé dans le flux immense et continu des
réflexions d’une société elle-même réflexive. En lui, nous trouvons un
miroir parmi d’autres. Cela peut procurer du plaisir, donner à réfléchir
ou juste occuper l’esprit. En cela, en tout cas, l’art contemporain ne
remplit plus la fonction de l’art moderne qui revendiquait encore une
position réflexive-critique sur la société et, à défaut, sur l’art
lui-même. Pas un artiste de l’art contemporain ne condamne ce que fait
un autre : tout au plus le jugera-t-il moins connu que lui en refusant
de figurer dans la même exposition.
Nous
sommes à présent dans une autre conception de l’art, de la pratique
artistique et des expériences esthétiques. L’idéologie du « créateur inspiré » et de l’œuvre d’art en tant que « chefs-d’œuvre » semble morte. Restent
des producteurs d’expériences esthétiques spécialisés dans un secteur
protégé de la culture que définit le monde de l’art. Certains
nostalgiques ont porté un regard ironique sur l’art contemporain, en
affirmant qu’il est un art sans œuvres et sans artistes. Mais leur
ironie n’a de sens que par rapport à l’idéal défunt de « l’âge
moderne ».
Ce
constat ne signifie pas pour autant que l’art contemporain ne soit pas
de l’art. Le concept d’art lui-même recouvre des pratiques extrêmement
différentes à travers les âges et les cultures. Le terme d’art
contemporain ne “ferait que marquer ce changement supplémentaire
d’économie ou de régime de l’art”.
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