L’Art au féminin
Soirée débat
Café des Arts
Rilke, Lettres à un jeune poète « si
la jeune fille et la femme, dans le nouvel épanouissement qui leur est
propre, imitent […] et reprennent les métiers des hommes, ce ne sera que
passager. Une fois passée l’incertitude de ces temps de transition, on
verra que les femmes n’auront traversé cette multiplicité et cette
succession de déguisement qu’afin de purifier leur être le plus propre
des influences de l’autre sexe, qui le défiguraient. Les femmes, en qui
la vie séjourne et loge avec plus d’immédiateté, de fécondité et de
confiance, n’ont pu faire autrement que de devenir des êtres au fond
plus mûrs, des humains plus humains que l’homme, qui, léger, n’est tiré
en dessous de la surface de la vie par le poids d’aucun fruit de son
corps et qui, dans la suffisance et la
précipitation, sous-estime ce qu’il croit aimer [….] Un jour, la jeune
fille sera là, la femme sera là dont le nom ne sera plus seulement
l’opposé du masculin, mais quelque chose en soi, quelque chose qui ne
fera penser ni à un complément ni à une limite, mais seulement à la vie
et à l’existence : l’être humain féminin »
Griselda
Pollock affirmait en 1991, lors d’un colloque à Paris, qu’il y avait eu
des femmes artistes, mais qu’on les avait oubliées ou bien que l’on avait considéré que leur art était marginal, mineur, car le regard imposé a toujours été celui des hommes. Aussi, il semblerait que ce ne soit pas l’Histoire mais bien l’idéologie
qui soit responsable de la quasi-absence des femmes de l’histoire de
l’art ; une idéologie pensant l’art des femmes artistes comme mineur et non créatif, comme un « art féminin »
incapable de parvenir au « grand art ». La femme par nature serait trop
raisonnable pour saisir l’exaltation du génie artistique. Dans ce cadre et en réaction à cette idéologie encore présente, nous devons encore nous interroger sur la réalité de l’art au féminin.
· Premièrement, Qu’entend-on par « l’art féminin » ? L’art au féminin est il un « art féminin » ou un art de femmes ?
· Deuxièmement,
Peut-on et doit-on penser l’art comme déterminé par le genre (féminin
ou masculin) alors même que l’art se veut, idéalement, universel ?
· Troisièmement, pourquoi et comment l’art au féminin peut trouver sa place au cœur d’un monde artistique majoritairement masculin ?
Qu’entend-on par « l’art féminin » ?
En règle
générale, l’archétype se pose d’abord comme masculin et il y aurait plusieurs
raisons à cela. Tout d’abord, Les femmes auraient une sensibilité particulière
qui les limiterait à certains sujets. Ensuite, le rôle premier des femmes
serait d’être des inspiratrices et de réserver leurs forces créatrices à la
maternité.
Michelet : «
L’homme est un cerveau, la femme une matrice. ». Enfin, le génie est censé
s’exprimer quels que soient les obstacles, or il n’y a pas de génie féminin
donc les femmes en sont congénitalement dépourvues - ou alors elles sont
“anormales”. En parlant de Camille Claudel, Octave Mirbeau écrit : « Elle était
tout simplement une grande et merveilleuse artiste (…), quelque chose d’unique,
une révolte de la nature : une femme de génie. »
Les
femmes peintres, sont souvent vues femmes de, mères de, sœur de, etc.,
voire maîtresse de, avant d’être considérées comme artistes. Ainsi, Suzanne Valadon est d’abord la mère d’Utrillo ; anne Mérimée est la mère de Prosper et la femme de Léonor. Sonia Delaunay est d’abord l’épouse de Robert Delaunay. Mary Cassatt est l’amie de Degas.
Mary Cassatt raconte qu’une fois, pour faire plaisir à
l’« impressionniste de salon », elle avait fait le portrait d’une jeune
fille à l’air particulièrement stupide. Comme elle l’avait prévu, ce
portrait enchanta Degas qui, bien qu’ayant surtout compté des femmes
parmi ses amis proches, était paradoxalement très misogyne. L’histoire
de l’art ne retient Mary Cassatt que comme une personnalité périphérique
au groupe impressionniste, pourtant, elle appartient à la génération
qui succède à l’impressionnisme, contemporaine de Toulouse-Lautrec, Gauguin ou Vuillard. Rosa Bonheur,
issue d’un milieu modeste trouve son style dans la peinture animalière
mais y excelle. « Elle peint comme un homme » a-t-on pu dire d’elle, ce
qui signifiait lui reconnaître son talent, sous-entendant qu’une femme
ne puisse pas en avoir. Berthe Morisot enfin, est une figure emblématique de l’art dit « féminin », tranquille et intimiste. Il faut attendre le XXe siècle pour voir les femmes se dédier à la peinture en abordant tous les sujets sans que cela fasse scandale.
L’art féminin ou l’art des femmes ?
Que peut être une « vraie » définition de l’art tel qu’il est créé par les femmes ?
Il
semble préférable de refuse le terme d’ « art féminin », mais il faut
bien accepter l’existence de l’art des femmes qui constitue évidemment
un champ spécifique de l’art.
Est-il est vraiment important de savoir qui est l’auteur dès lors que l’œuvre existe ?
La
hiérarchie, selon laquelle l´art des hommes est qualifié d’universel,
non déterminé par la différence des sexes, alors que l’art des femmes
est conditionné par le genre humain (et qu’il est impossible de croire
qu’il est simple et pur) continue d’imprégner aujourd´hui les schèmes de
pensée. L´art des femmes fut, dans son ensemble, toujours considéré
comme inférieur à l’art masculin. Il est nécessairement ‘différent’(
donc inférieur) d’autant plus s’il contient des signes qui ne sont pas
présents dans l´art masculin.
Pourquoi, selon les critiques hommes, les fleurs de Georgia O´Keeffe seraient-elles érotiques et féminines, tandis que celles de Vincent Van Gogh triompheraient de la couleur propre ?
N’est-ce
pas refuser de chercher à comprendre ce qui se cache derrière les
peintures, à connaître le regard d´une femme sur la vie, la beauté, la
nature, le désir et le modernisme. Les femmes artistes n’ont été, dans
l´histoire de l´art moderne, que très peu visibles. A cet égard, la vie
de Camille Claudel, artiste incomprise et non acceptée, est éloquente.
Il est possible de dénoncer toute l´histoire de la création par les
femmes telle qu’elle a été écrite – ou non écrite - aussi bien que de
dépasser l´opposition entre l’homme et la femme par le dialogue de leurs
œuvres artistiques. Ce qui intéresse l´esthétique féministe, ce sont
les questions de l’art féminin et masculin.
Est-ce
que l’art créé par les femmes est un art féminin ? Et, à l´inverse,
est-ce que l´art créé par les hommes est un art masculin ?Pourquoi
devrait-on écouter une symphonie, ou regarder une photographie selon le
genre de leur créateur? Soit
on pense que l´art féminin n´existe pas et qu’il n’existe que l´art de
femmes individuelles, soit il y a des différences de sexe impliquées par
la maternité, ce qui induit, entre les hommes et les femmes, des
différences dans la manière de penser ou de vivre.
Toutefois, il
ne faut pas oublier que la plupart des femmes s´élèvent au dessus de
leur existence de femmes, et que dans leur pensée artistique domine le préjugé d´une subjectivité non matérielle et indépendante. Préjugé ou non ? La
société a peur de l’identité du genre, parce qu’à la faveur de la
réflexion féministe, on découvre un événement fondamental : la relation
de partenaire que nouent l’homme et la femme est en effet une liaison de
civilisation, une liaison culturelle. La plupart des hommes ne
cultivent avec les femmes qu’une liaison superficielle et non pas une
relation durable. Qui plus est, les femmes ne sont pas
identiques. Une femme n´est pas une abstraction. Il faut l’admettre. Des
femmes spectatrices n’ont pas les mêmes ambitions, les mêmes regards.
Il y a entre elles de grandes différences, même si l’opinion publique ne
le pense pas. A titre d’exemple, on peut citer le cas des femmes
« noires » qui n’ont pas accepté l’art « blanc », qui ne lui ont pas
donné de statut ontologique. Elles n´étaient pas capables de
s´identifier avec un film qui montrait la puissance des « blancs ».
Comment l’art au féminin peut trouver sa place au cœur d’un monde artistique majoritairement masculin ?
Il faudrait prendre le temps d’étudier l’art des femmes et d’évaluer l’expérience esthétique d’un public hétérogène.
Le cheminement de l´art des femmes serait le suivant
: Les femmes créent une œuvre qui présente un monde, et l´homme peut
l’appréhender, entrer dans le processus de la naissance de l´œuvre, et
finalement découvrir un monde qui autrement lui resterait inaccessible.
Quelles sont les conditions pour que le récepteur considère l’objet comme œuvre d’art? Tout
tient à l’espace culturel où son « goût » ou « jugement » est formé, en
même temps qu’à ses intérêts et ses dispositions esthétiques premières.
Or, jusqu´à présent, les théories esthétiques ont parlé du
« récepteur » en général sans chercher les différences entre
« l´homme-récepteur et la femme-réceptrice ». C´est aussi la raison pour
laquelle plusieurs théoriciennes américaines appellent à une recherche
plus approfondie en ce qui concerne l´expérience esthétique et la
réaction esthétique à l´œuvre d´art qui prenne en compte la différence
du genre – spectateur, joueur ou lecteur féminin/masculin.
Attention :
Dans le cadre de la réceptivité de l´art, il est possible de parler des
femmes qui s´identifient avec la culture masculine, qui acceptent le
point de vue des hommes et essayent de s´identifier avec les dogmes
masculins (et il y a là effectivement un phénomène à étudier dans
l´esthétique féministe). Ce type de femmes disposent d´une façon
masculine de voir les choses et essaient, par leur activité, d´être les
égales des hommes au niveau intellectuel et au niveau professionnel.
Elles ne veulent pas être différentes.
Pour
finir, les hommes ne pourraient ils pas faire de même et finir par
accepter le point de vue des femmes sur le monde ? A condition que ces
dernières en offrent un.
Bibliographie :
- Marie-Jo Bonnet, Les Femmes dans l’art : Qu’est-ce que les femmes ont apporté à l’art?, La Martinière, 2004. ISBN 2732430870
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- Fémininmasculin, le sexe dans l’Art, catalogue d’exposition, Paris, Centre Georges Pompidou, 1997.
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- Catherine Gonnard & Élisabeth Lebovici, Femmes/Artistes, artistes femmes. Paris, de 1800 à nos jours, Éditions Hazan, Paris, 2007 ISBN 9782745102063
- Uta Grosenick, Women Artists, Cologne, Taschen, 2001. ISBN 3822824364
- Rosi Huhn, Bracha L. Ettinger et la folie de la raison. Edited by Anna Mohal. Paris: Goethe Institut, 1990.
- Yves Michaux (ed.), Féminisme, Art et Histoire de l’Art, Paris: énsb-a, 1994. ISBN 2-84056-009-7
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- Helena Reckitt et Peggy Phelan, Art et féminisme, Phaidon Press, 2005. ISBN 0714894346
- Pollock, Griselda, Vision and Difference: Femininity, Feminism and the Histories of Art, Routledge, London, 1988. ISBN 0-415-00722-4.
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- Pollock, Griselda, Encounters in the Virtual Feminist Museum: Time, Space and the Archive. Routledge, London, 2007. ISBN 0415413745
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