EXTIME vu par Jean-Philippe Domecq

EXTIME : Aphorismes picturaux 
Exposition des œuvres récentes et inédites de l’artiste peintre Caroline Guth à la galerie l’Achronique du 12 mars au 13 avril 2018


Dénouer, pour déployer sa vie
par Jean-Philippe Domecq

            On n’a rien demandé mais on naît, en pleine scène familiale. Freud décrit cela comme un appartement, avec chambre parentale à côté, étage supérieur du surmoi, cave et grenier du ça, et nous au milieu, dans la chambre de notre crâne. Il faudra faire avec. C’est exactement l’impression que nous fait l’univers peint par Caroline Guth. On reconnaît… alors que ça n’a rien à voir avec notre petite histoire à nous. Mais, comme en nous, il s’y passe de ces choses à la fois trop explicites et bizarres, des histoires énormes et secrètes, disposées comme sur une scène, le théâtre intime de l’inconscient, et là devant on se demande comme Henry James dans Portait of Lady : « What will she do with herself ? »… Et si la question s’incarne ici au féminin puisque manifestement cette artiste interroge la féminité, c’est que toujours la femme ramène chacun à la question: tant qu’à vivre, que vais-je faire de moi-même ?
Ainsi les scènes et chambres de Caroline Guth ont beau n’être que les siennes, elles nous renvoient à nos propres scènes primitives, en miroir. En miroir d’autant mieux qu’elles affirment la différence, d’où ce mot de « bizarre » venu à l’esprit en découvrant ce monde peint : la différence féminine. Caroline Guth a de la suite dans les idées qui la poursuivent, et la hantent : elle ne peut s’empêcher de la constituer, cette « féminologie » qu’elle a inventée durant ses années londoniennes et que depuis elle sonde, série après série dont c’est la deuxième d’importance après la série « Au-delà d’en deçà » exposée l’an dernier (oui, déjà, c’est dire le tempo de fièvre exploratrice qu’il y a là-dessous).
            Mais fièvre orchestrée, attention. Cette artiste de l’inconscient est une « psychosophe », si l’on permet. En témoigne la rigueur de ses compositions, sévèrement construites, où la perspective part de la nôtre, quotidienne, pour nous amener à l’intérieur, comme ses bandeaux d’espace qui enlacent la nudité d’où ils partent. C’est un des nombreux sens du mot EXTIME que Caroline Guth donne à cette série. Tout dans cet univers est en bande de Moebius, des pulsions à leur réflexion mais aussi esthétiquement, puisque la peinture part de la figuration la plus nette, inventant même une poétique du schéma qui découle de la dimension philosophique déjà manifeste dans les précédentes séries, pour, depuis cet espace extérieur que nous avons tous en commun avec ces corps, ces murs, vêtures et bancs reconnaissables, nous amener à l’intérieur : à l’intime. Par l’extime bel et bien. L’intime exhibé, sans chercher aucunement à séduire par l’érotisme, et ça c’est vraiment intime. Cette artiste connaît son histoire de la peinture, elle a fort bien compris, et senti, que le corps présenté comme érotique est devenu, les mœurs aidant, l’équivalent du nu idéal ou de la beauté grecque dans la peinture bien pensante autrefois, qui aujourd’hui veut du libéré, n’est-ce pas. Ses nudités à elle se montrent, certes, mais avec le tremblement que ça fait, l’intime.
Hors du temps aussi, dit son mot Extime, ex-time = hors-temps, puisque l’inconscient, on le sait, est achronique, ignorant même la mort lors même qu’il est pris dans le nœud de la peur et de son répondant et de sa cause, le désir.
            Aussi faut-il faire attention à l’audace de cette artiste. Son monde nous déboule visiblement d’où on ne l’attend pas dans l’art aujourd’hui, d’on ne sait quelle île de nos archaïsmes pulsionnels. Comme si Caroline Guth faisait le chemin inverse de Gauguin qui partit dans les îles « chercher la vérité dans un âme et un corps » - derniers mots de Rimbaud avant de tout lâcher et partir, partir ; Caroline Guth en revient, elle, des îles anciennes et neuves comme nos pulsions, et nous en rapporte, avec cette audace sauvage qui s’ignore, ce qu’elle entend dans l’ultime et essentielle question que Gauguin avait peinte dans sa dernière œuvre : « D’où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous ? ».
Oui, c’était donc bien cela : Que va-t-elle faire d’elle-même ?
            Chacun ses risques, elle de peindre cela, et nous de parier : cette œuvre n’a pas fini de nous surprendre, c’est-à-dire… parions précis tant qu’à faire : de dénouer le sac de nœuds où nous naissons, pour déployer l’existence, qui a, au moins, la beauté chiffrée de l’énigme.




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